Coiffeuses de cœur

Coiffeuses de cœur

Hiver 2001 : Chantal et Marie, coiffeuses professionnelles, participent à une initiative originale mise en place par les Restos du cœur.

ans ce lieu aux murs beige rosé, décoré comme il se doit de photos de mannequins au carré impeccable, au dégradé parfait, deux coiffeuses manient ciseaux et peignes. Elles coupent, effilent au rasoir, désépaississent les chevelures mouillées, au gré des envies des femmes, des hommes et des enfants. « Plus court, sur les côtés ? » demande Chantal, interrompant la discussion qu’elle mène depuis dix minutes avec sa cliente du moment. Cette scène ordinaire pourrait se dérouler dans n’importe quel salon de coiffure. À quelques détails près. D’une surface inférieure à 10 mètres carrés, l’endroit se distingue par son côté mobile. Il est en effet installé à l’intérieur d’un camion qui appartient aux Restos du cœur.
L’association, créée en 1985 par le regretté Coluche, est connue pour les distributions alimentaires et vestimentaires qu’elle effectue au sein de ses antennes ou de ses camions. Depuis décembre 2000, en Seine-Saint-Denis, la solidarité s’étend en offrant des coupes de cheveux aux personnes en difficulté. « Nous ne souhaitions pas nous cantonner à une aide alimentaire, mais élargir notre action de soutien à l’insertion des bénéficiaires des Restos du cœur », explique Jacques Périca, coordinateur des centres de l’association en Seine Saint-Denis.
Chaque lundi, le camion se rend dans l’une des 20 villes concernées du département : Bobigny, Pantin, Drancy, Blanc-Mesnil, La Courneuve, Neuilly-sur-Marne, Saint-Denis… Une demi-douzaine de coiffeurs et coiffeuses professionnels offrent leur savoir-faire aux Restos du cœur. Parmi eux, Chantal et Marie, Drancéennes. Au premier abord, tout semble opposer la blonde et volubile Chantal à Marie,
brune et discrète. La même noblesse de coeur alliée au respect de l’autre lie ces amies de longue date. « C’est Marie qui m’a incitée à entrer aux Restos du cœur, déclare Chantal. Jusqu’ici, je n’avais pas eu l’occasion d’offrir un peu de mon temps aux plus démunis, submergée par le travail, mes deux fils à élever, le quotidien de la vie. Aujourd’hui, je dispose de quelques heures à donner et je sais que la vie a ses revers ».

Des clients à part entière

« En m’engageant pour les autres, j’ai rencontré des personnes fantastiques. Les bénévoles qui forment une grande famille et puis tous les gens qui connaissent des difficultés bien souvent liées à ce fléau qu’est le chômage. Ici, en une demi-heure, nous leur offrons un « nouveau look » afin qu’ils se sentent mieux. Si le service est gratuit, cela ne nous empêche pas de les considérer comme des clients à part entière. Le reste ne nous regarde pas. La semaine dernière, un monsieur voulait me laisser un pourboire ». Dans cette ambiance pleine de chaleur humaine, de considération et de confiance, les confidences sont nombreuses. « Nul n’est à l’abri de la détresse matérielle ou morale, poursuit Chantal. À l’époque d’Internet, chaque individu devrait voir ses droits fondamentaux respectés : un travail, un logement, l’égalité des chances à l’école. Ce n’est pas utopique d’exiger cela ! La technologie, c’est magnifique, mais l’être humain doit rester le centre des préoccupations ». Et de citer le dernier reportage « impressionnant » qu’elle a découvert à la télévision sur le monde virtuel. « Cette main n’est pas prête d’être remplacée », dit la coiffeuse en jouant du ciseau sur une chevelure blonde.
Toute à sa tondeuse, Marie acquiesce en silence, jetant des oeillades complices par le jeu des miroirs. Monique, Samira, Allan, Élisabeth… Les clients ayant pris rendez-vous à la permanence se succèdent. Chantal parle souvent de la naissance prochaine de son premier petit-fils et n’hésite pas non plus à raconter des pans de sa vie. « Nous avons fait le choix de nous limiter à la coupe et au séchage afin de pouvoir accueillir plus de monde », explique Marie. Entre deux personnes, les coiffeuses prennent quelques instants pour balayer, préparer une serviette propre, avancer la cape au nouveau venu. Dernier remerciement du client fraîchement coiffé. Chantal tutoie, Marie vouvoie, question de personnalité. Sur le meuble qui sert à ranger le matériel, un cahier d’écolier où Chantal propose aux clients de laisser une trace de cette rencontre, ou tout simplement un nom. On peut y lire une suite de messages comme celui-ci, signé de manière illisible. « J’ai partagé une demi-heure bien agréable. Je suis reparti l’esprit léger et libre grâce à ces femmes admirables ». « Quelques lignes ou un sourire, c’est la plus belle des récompenses », commente Chantal. Marie, encore une fois, approuve par un sourire.

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